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La France est-elle islamophobe ?

Dominique Vidal (mars 2006)

lundi 16 octobre 2006 par Administrateur

Le mot lui même fait encore couler beaucoup d’encre : islamophobie. Il est pourtant couramment utilisé par d’innombrables institutions, de la Commission européenne à la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), en passant par la communauté juive italienne (1). L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Rafarin avait même déclaré, lors de sa visite à la grande mosquée de Paris, fin 2004 : « Je m’inquiète d’une islamophobie qui se développe incidemment dans notre pays (2). » Mais d’autres en contestent l’usage : il s’agirait, selon eux, d’une « ruse » des musulmans, voire de leurs complices « islamo-gauchistes », pour interdire toute critique de l’islam. Pourtant, si d’aucuns brandissent l’islamophobie dans ce but, la judéophobie sert également de prétexte pour intimider quiconque voudrait critiquer la politique israélienne. Devons-nous pour autant renoncer à l’usage de ces termes ?

La réponse figure, en fait, dans Le Robert : dérivé du grec phobos, la phobie signifie « l’aversion instinctive, l’hostilité irraisonnée ou, parfois, l’absence d’affinité vis-à-vis de quelqu’un ou de quelqu’un chose ». Le terme « islamophobie » souligne donc, comme l’indique Alain Gresh (3), ce caractère « irraisonné », qui la distingue d’une critique rationnelle de l’islam.

Le droit de critiquer les religions est évidemment imprescriptible. Mais peut-on qualifier de « critique légitime » la diffamation systématique d’une religion - la deuxième de France, avec de trois à cinq millions de croyants - encore discriminée, dont les fidèles font l’objet d’actes de violence de plus en plus nombreux et dont l’image dans le grand public s’est brutalement dégradée ?

Une religion maltraitée

On l’oublie souvent : l’article 1 de la loi de 1905 affirme que « La République assure la liberté de conscience », mais aussi qu’elle « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public (4) ». Certes, l’islam prend progressivement sa place dans le paysage religieux français. La création du Conseil français du culte musulman (CFCM), malgré les obstacles qui l’empêchent encore de jouer tout son rôle, reflète cette « normalisation ».

Mais l’islam français jouit-il pour autant pleinement du « libre exercice » du culte ? Comme on le sait, le nombre de mosquées reste notoirement insuffisant - d’où la persistance d’un « islam des caves ». La formation d’imams français demeure très limitée, ce qui contribue à poursuivre l’importation d’imams parlant pas ou mal français et professant parfois des thèses intégristes. Beaucoup de carrés musulmans dans nos cimetières sont souvent encore mal entretenus, incitant ainsi les immigrés les plus âgés à continuer de se faire enterrer dans leur pays d’origine. Enfin, la question de l’abattage rituel n’étant pas globalement résolue, des campagnes récurrentes s’en prennent à l’islam au nom de la défense des animaux. Il y a pire : on assiste à une recrudescence des violences contre les musulmans, les mosquées et les boucheries hallal. Le rapport 2005 de la CNCDH (5) souligne que « les menées strictement islamophobes (...) représentent 21 % de la violence raciste globale en 2004 contre 15 % en 2003 et 12 % en 2002. » Ce phénomène a été longtemps masqué par la multiplication des agressions antisémites. Selon les cinq derniers rapports annuels de la Commission concernant les actes « violence raciste », plus clairement définis et donc répertoriés que les « menaces racistes (6) » :
-   en 2002 par rapport à 2001, le nombre d’actes de « violence raciste » est multiplié par 4, et, en leur sein, le nombre d’actes antisémites par 6 ;
-   - en 2003 par rapport à 2002, on observe un net reflux des actes anti-Juifs (- 35,9 %) et, à un moindre degré, des autres actes racistes ( - 22,69 %) ;
-   - en 2004, le nombre d’actes antisémites progresse à nouveau (+ 57 %), et celui des autres actes racistes plus encore (+ 83 %), le rapport parlant à propos de ces derniers de « niveau sans précédent depuis ces dix dernières années » ;
-   - en 2005, le reflux des actes anti-Juifs est plus net (- 51%) que celui des autres actes racistes (- 48 %).

Qui sont les victimes du racisme ?

Voilà pour le quantitatif. Et le qualitatif ? Si, selon toutes les enquêtes d’opinion, le niveau élevé de violences anti-juives ne reflète pas la montée d’un courant politique de masse antisémite, on ne peut hélas pas en dire autant des attaques contre les Arabes et les musulmanes : ces dernières s’appuient sur les préjugés d’une partie significative de la population. Deux chiffres symbolisent cet écart : 90 % des Français se disent prêts à élire un président de la République juif, mais seuls 36 % d’entre eux voteraient pour un candidat musulman (7).

Le sondage réalisé en novembre 2005 par la CNCDH (8) donne la mesure du racisme de masse qui frappe notamment les Arabes et les musulmans. Une personne sur trois se dit raciste, soit 8 % de plus qu’en 2004 ; 88 % estiment que le racisme est « plutôt » ou « très » « répandu » (+ 8 %) ; 63 % (+ 5 %) estiment que « certains comportements peuvent parfois justifier des réactions racistes ». Quelles sont les principales victimes du racisme en France ? Parmi les réponses les plus fréquentes figurent les « Nord-Africains » et les « musulmans » (42 %), suivis des « étrangers » et des « immigrés » (26 %), puis des « Africains » et des « Noirs » (17 %) - après quoi viennent les Français (12 %), les « juifs » (6 %) et les « personnes d’une autre couleur de peau » (6 %)... Et, si 38 % pensent que les événements au Proche-Orient ont renforcé l’antisémitisme (- 13 %), 44 % considèrent qu’ils ont accru le racisme envers les musulmans (- 6 %). Concernant le nombre d’immigrés, 56 % le pensent trop important (+ 18 %).

Qui forme un « groupe à part dans la société » ? Les sondés classent les musulmans en deuxième position (63 %, soit + 6 % en un an), après les gens du voyage (84 %), mais loin devant les juifs (35 %, soit - 6 %) - les Maghrébins arrivent en troisième position (54 %, soit + 3 %). Et les personnes interrogées sont 11 % de moins que l’an dernier à considérer les musulmans comme « des Français comme les autres »...

On observe plus généralement une dégradation, récente mais sensible, de l’image de l’islam. L’enquête réalisée fin 2004 par la CNCDH le confirmait. Ainsi 47 % des sondés (contre 46 %) refusaient l’engagement de Nicolas Sarkozy, après Pierre Joxe et Jean-Pierre Chevènement de « faciliter culte musulman ». Plus concrètement, 47 % (contre 43 %) s’opposaient à la « formation d’imams français ». Et 47 % (contre 26 %) rejetaient la construction de mosquées à proximité de chez eux. D’ailleurs, l’expression « religion musulmane » était ressentie comme « négative » par 35 % des sondés - contre 21 % pour la religion juive, 17 % pour le protestantisme et 16 % pour le catholicisme.

« Islamofascisme »

Cette dégradation de l’image de l’islam s’est manifestée - ce n’est évidemment pas une coïncidence - au début des années 2000. D’ailleurs, auparavant, on ne parlait quasiment pas d’« islamophobie ». Alain Gresh observe, dans son article déjà cité, que Le Monde l’a utilisé deux fois entre le 1er janvier 1987 et le 10 septembre 2001 : en 1994 et en février 2001. Quant au Monde diplomatique, avant le 11 septembre 2001, il n’a utilisé ce terme que deux fois : dans un reportage sur Marseille (juillet 1997) et sous plume de Tariq Ramadan (avril 1998).

Pourquoi cette irrésistible ascension de l’islamophobie - du mot et de la chose ? Avec le 11-Septembre et ses suites, l’islam devient inséparable de l’épouvantail agité par les néo-conservateurs américains : à les en croire, l’Occident serait confronté à un nouvel ennemi, après le nazisme et le communisme Et, contre lui, l’administration Bush met en œuvre leur stratégie hégémoniste, avec ses interventions, d’abord « défensive » en Afghanistan, puis « préventive » en Irak.

Cette « menace islamique » n’est jamais vraiment définie. Alain Gresh le souligne : « Bien sûr, il existe des groupes terroristes qu’il faut combattre, qui mènent une croisade au nom de leur interprétation de l’islam. Mais ces groupes sont minoritaires et, contrairement au communisme, par exemple, sont bien incapables d’attirer de leur côté une partie significative des opinions occidentales ; d’autre part, ces mouvements ne s’appuient sur aucune puissance étatique significative, comme le nazisme (avec l’Allemagne hitlérienne) ou le communisme (avec l’URSS et aussi la Chine). » Le président Bush ira jusqu’au bout du raisonnement à l’automne 2005 : il appellera à une croisade contre l’« islamo-fascisme (9) ».

Le « danger islamiste » en question - qui amalgame les résistants tchétchènes, le Hamas palestinien et les terroristes d’Al-Qaida - s’enracine spécifiquement, en France, dans l’histoire coloniale. On aurait tort pour autant de voir dans l’islamophobie une constante de l’histoire de notre pays et a fortiori de l’Occident. Dans son livre La Fascination de l’islam (10), Maxime Rodinson montre comment, siècle après siècle, l’esprit de croisade et la haine de l’islam ont toujours alterné, voire coexisté, avec l’esprit de partenariat avec l’islam.

De la diabolisation à l’admiration

La reconquête de la Terre sainte instrumentalise, certes, l’image négative stéréotypée de l’islam à destination du grand public. Mais les lettrés, dès le début du XIe siècle, redécouvrent via l’arabe les ouvrages scientifiques fondamentaux de l’Antiquité. Au XIIe siècle, Gérard de Crémone va à Tolède rechercher les versions arabes d’Aristote. Les œuvres philosophiques d’Avicenne (Ibn Sinna) commencent à être traduites en 1180. Au XIIe siècle, l’Intérêt se porte aussi sur la religion musulmane : le Français Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, rassemble les connaissances à son sujet ; l’Anglais Robert de Ketton traduit le Coran ; le Juif espagnol converti Pedro de Alfonso publie le premier livre fournissant des données sérieuses sur Mahomet et l’islam...

Ce passage de la diabolisation manichéenne de l’ennemi à des conceptions plus nuancées s’accentue au XIIIe siècle. Le cardinal Rodrigo Ximenez, archevêque de Tolède, rédige alors la première Histoire des Arabes occidentale. L’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, arabisant et islamophile - qui discute philosophie, logique et mathématiques avec les musulmans - sera excommunié par le pape Grégoire IX. Le trouvère bavarois Wolfram d’Eschenbach exalte la culture musulmane, qu’il connaît visiblement bien. De surcroît, les invasions mongoles relativisent le « péril musulman »... Au début du XIVe siècle, Dante exempte d’enfer et place dans les limbes Avicenne, Averroes et Saladin, aux côtés des sages de l’Antiquité - non sans préjugés, évidemment, comme le souligne Edward Said dans L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, son chef d’œuvre récemment réédité après avoir été longtemps épuisé (11).

Rien d’étonnant car, comme Rodinson l’explique, « la multiplication des contacts, à la suite de la Reconquista espagnole, de la conquête de la Sicile musulmane et de l’établissement d’Etats latins en Orient, rendait des informations plus détaillées et plus nuancées nécessaires. » Mais la chute d’Acre, en 1291, met définitivement fin aux espoirs placés dans les croisades : « Depuis longtemps, poursuit le spécialiste, la lutte contre l’infidèle en Orient ne parvenait plus à mobiliser l’Occident. Les projets politiques nationaux remplaçaient définitivement le plan d’expansion de l’Europe chrétienne unie. » Bref, l’Europe ne s’intéresse plus à l’islam.

Cet intérêt renaîtra avec la croissance de l’Empire ottoman aux dépens de l’Europe balkanique chrétienne, à partir de la fin du XVIe siècle. A cette époque, Jean de Ségovie entreprend une nouvelle traduction du Coran. Il inspirera une lettre de Pie II à Mahomet II. Le danger que représentent les Turcs n’empêche pas de traiter avec eux - François Ier s’alliera même à Soliman le Magnifique contre Charles Quint en 1535. Rodinson poursuit : « La proximité, les relations politiques étroites, les relations économiques accrues, le grand nombre de voyageurs et de missionnaires parcourant l’Orient, la décadence de l’hégémonie et de l’unité idéologique du christianisme en Europe rendaient plus facile une étude objective du monde musulman. »

Dans sa version turco-ottomane, l’islam deviendra même un objet de mode aux XVIe et XVIIe siècles, comme en témoigne Le Bourgeois gentilhomme de Molière. Mais c’est surtout la période où naît cet intérêt, bientôt manipulé, pour l’Orient qu’on appellera orientalisme (12) - pour des raisons religieuses du côté du Vatican, commerciales et politiques pour la France, l’Angleterre ou les Pays-Bas. « Désormais, écrit l’auteur, le monde musulman n’apparaît plus comme le domaine de l’Antéchrist. » Avec les Lumières, l’islam trouvera même des défenseurs contre préjugés et dénigrement. Le XVIIIe siècle passe de l’objectivité à l’admiration : la tolérance de l’Empire ottoman est donnée en modèle. Des philosophes insistent sur le « rôle civilisateur de l’islam ».

Le XIXe siècle voit le développement de l’orientalisme - le terme lui-même apparaît dans le Dictionnaire de l’Académie française en 1838. Cela n’empêche pas l’Orient musulman de faire figure d’ennemi, mais d’ennemi vaincu. On qualifie la Sublime Porte d’« homme malade Europe ». Les Turcs refluent au profit de la France (Algérie, 1830), de la Grande-Bretagne (Aden, 1839), de l’Italie et de la Russie. Ce monde musulman en déclin contraste avec l’impérialisme en pleine expansion. « Cela ne peut - explique Rodinson - que favoriser un eurocentrisme naturel, enraciné depuis toujours, mais qui prend une coloration tout spécialement méprisante. »

« Chassez le naturel... »

En France, ce mépris se transformera en haine du fait de la colonisation de l’Afrique du Nord et des résistances que cette entreprise rencontre. L’islamophobie fera partie intégrante de la propagande colonisatrice. L’islam est alors décrit non seulement comme rétrograde, mais comme fanatique - puisqu’il inspire les combats contre la colonisation du Maghreb, et plus tard pour la libération de ces pays.

On a pu mesurer combien cette histoire restait incroyablement présente avec le débat sur la loi du 23 février 2005 exigeant des manuels scolaires qu’ils reconnaissent « le rôle positif de la présence française outre-mer », mais aussi en pleine révolte des banlieues, en novembre 2005. « Chassez le naturel, il revient au galop », affirme le proverbe. Comment ne pas l’évoquer en observant Dominique de Villepin recourir, pour fonder juridiquement le couvre-feu, à une loi de 1955 ? Pourquoi ressusciter une législation d’exception qui permit, le 17 octobre 1961, le massacre de 200 à 300 Algériens manifestant pacifiquement dans la région parisienne, puis, le 5 mai 1988, l’assassinat de dix-neuf militants kanakes dans la grotte d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie ?

Quand bien même l’inconscient de nos gouvernants n’aurait pas ainsi, tel lapsus linguae, laissé entrevoir leur univers mental, la simple réalité aurait suffi à rappeler brutalement aux mémoires françaises alzheimerisées les pages noires de « notre » colonialisme. A preuve ce jeune tabassé par des policiers déchaînés, qui furent mis en examen, la scène ayant été filmée et diffusée à la télévision : sait-on que son père avait été raflé, quarante-quatre ans plus tôt, par la police du préfet Maurice Papon (13) ?

Après l’indépendance de l’Algérie, le racisme anti-arabe et anti-musulman trouvera aliment dans la montée du Front national et la concurrence entre ce dernier et la droite « républicaine ». Ce durcissement se retrouvera dans bien des discours, y compris celui d’un certain Jacques Chirac sur « le bruit et les odeurs ». La dénonciation des « différences » culturelles ou religieuses comme un danger pour l’identité française pénètrera jusque dans certains milieux se réclamant de la gauche.

Une vision essentialiste

A la fin des années 1980, la première affaire du voile introduit un nouvel argument : le principal obstacle à l’« intégration » relèverait, non du social et du politique, mais du religieux et du culturel. Bref, l’islam serait « naturellement » hostile à la laïcité comme à la démocratie. Claude Imbert, du Point - qui s’avouera « un peu islamophobe (14) » durant la seconde affaire du voile - avait expliqué qu’il y a « des limites à la tolérance ». Oubliant les juifs expulsés, les Italiens pogromisés, les mineurs polonais et belges passés à tabac, il écrit : « Les Français n’ont jamais craint l’immigration parce qu’ils ont toujours réussi à l’intégrer. Mais, avec plus de trois millions de musulmans, ils voient désormais que la magie du creuset national n’opèrera pas comme jadis avec Polonais, Italiens, Espagnols et autres Portugais. La difficulté nouvelle n’est nullement raciale : elle est culturelle, religieuse et tient à l’islam (15). »

Ce membre du Haut conseil à l’intégration (sic) professe ainsi une vision essentialiste de l’islam politique, monolithique, se résumant à l’application de la charia. Comme lui, beaucoup ne font guère de différence entre les divers courants musulmans, tous qualifiés d’« intégristes » - sans jamais préciser pourquoi. Ils confondent allègrement les groupes salafistes, le Tabligh, l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), le Collectif des musulmans de France (CMF), etc.. Les mêmes qui, s’agissant du christianisme, distinguent chrétiens de gauche, conservateurs, charismatiques, fondamentalistes et lefebvristes, sans oublier la théologie de la libération et l’Opus Dei, font mine de ne pas voir les clivages existant dans les milieux musulmans : du Coran découleraient une seule politique, une seule vision du monde.

Dans L’Obsession anti-américaine (16), Jean-François Revel nous appelle à ne pas être « aveugles devant la haine pour l’Occident de la majorité des musulmans vivant parmi nous ». Voilà un bel exemple d’islamophobie, comme le note Alain Gresh (17) : « Sous couvert de critique de la religion, on stigmatise toute une communauté, renvoyée à son “identité” musulmane, qui serait “naturelle”, “biologique”. Cet amalgame entre religion et communauté est proprement scandaleux et il suscite aujourd’hui un trouble important chez ce que l’on nomme les “musulmans”, y compris les athées ou ceux qui n’accordent aucun poids à la religion. »

L’affaire du voile

On l’a bien vu dans la seconde affaire du voile. Partisan ou détracteur de la loi finalement adoptée par le Parlement français, nul ne peut nier que, des mois durant, le débat à son sujet n’ait été l’occasion de dérapages massifs. Un des grands succès de librairie de cette période fut La Rage et l’orgueil, d’Oriana Fallaci (18). La journaliste italienne y dénonçait les musulmans qui « au lieu de contribuer au progrès de l’humanité, passent leur temps, le derrière en l’air, à prier cinq fois par jour », « les fils d’Allah [qui] se multiplient comme des rats », « les mosquées [qui] grouillent jusqu’à la nausée de terroristes ou d’aspirants terroristes ». Et de s’interroger : « De simples franges extrémistes ? Des simples minorités fanatiques ? Non, mon cher, non. Ils sont des millions et des millions, les extrémistes. Ils sont des millions et des millions, les fanatiques ». Fallaci écrivait même : « Il y a quelque chose, dans les hommes arabes, qui dégoûte les femmes de goût »...

Dans son Bloc-notes » du Point (19), Bernard-Henri Lévy trancha : « Il y a du Céline dans cette Fallaci-là. Le pire Céline. Celui qui, dans Bagatelles pour un massacre, utilisait le même lexique pour lancer son long cri de haine contre les fils, non d’Allah, mais de Moïse. » Dans le même numéro de l’hebdomadaire, Alain Finkielkraut rétorqua : Oriana Fallaci « s’efforce de regarder la réalité en face. Elle refuse le narcissisme pénitentiel qui rend l’Occident coupable de ce dont il est victime. Elle prend au mot le discours et les actes des adversaires. Mais comme elle en a gros sur le cœur, elle va trop loin. Elle écrit avec des Pataugas ».

Les mêmes Pataugas que Finkielkraut a chaussés avant de répondre aux questions du quotidien Haaretz, en pleine révolte banlieues ? Le philosophe écrivait notamment : « En France, on voudrait bien réduire les émeutes à leur niveau social. Voir en elles une révolte de jeunes de banlieues contre leur situation, la discrimination dont ils souffrent et contre le chômage. Le problème est que la plupart de ces jeunes sont noirs ou arabes et s’identifient à l’islam. Il y a en effet en France d’autres immigrants en situation difficile, chinois, vietnamiens, portugais, et ils ne participent pas aux émeutes. Il est donc clair qu’il s’agit d’une révolte à caractère ethnico-religieux. ( ...) » Il s’agit de l’étape du pogrom anti-républicain. Il y a des gens en France qui haïssent la France comme République (20). »

Il faudrait aussi évoquer ici Michel Houellebecq, auquel on doit ces phrases définitives : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré, effondré ! La Bible, au moins, c’est très beau parce que les juifs ont une sacré talent littéraire (21). » L’affaire, hélas, ne se limite pas à ces « cas ». A suivre TF1, Europe1, Le Parisien et même parfois Libération, on pourrait croire que l’islam constitue le principal problème de la France et notamment de ses cités populaires. Mais qui a mis le feu aux poudres ? L’islam, ou les discriminations que les jeunes y subissent dans tous domaines ? L’islam, ou la ghettoïsation de plusieurs centaines de quartiers abandonnés par Etat, les services publics, mais aussi les forces politiques traditionnelles, y compris de gauche ? Et si, plus généralement, l’« intégration » est en panne, est-ce à cause de l’islam, ou parce que l’ascenseur social lui-même est bloqué ? La société française a « intégré » successivement les Juifs, les Italiens, les Polonais, les Espagnols et les Portugais : à l’époque, une bonne formation générale et professionnelle équivalait à la promesse d’un emploi sûr, de l’accès à un logement correct, des moyens de fonder une famille et d’élever dignement des enfants, sans oublier la possibilité de devenir citoyens à part entière. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et là se trouve l’origine de la poudrière - là, et non dans une religion, encore moins une « ethnie ».

La nomination d’un « préfet musulman » ne trompe personne. Car le problème ne réside pas seulement dans l’absence de préfets musulmans, mais aussi dans celle de députés musulmans, de sénateurs musulmans (22) et, plus généralement, la quasi-absence de musulmans dans la haute administration, la haute magistrature, la direction des grandes entreprises, etc.

« Beurgeoisie » ou promotion de masse ?

L’expérience montre qu’il est impossible de rattraper un retard aussi considérable sans mettre en œuvre une politique volontariste. La même idée n’a-t-elle pas guidé le législateur lorsqu’il a adopté la loi sur la parité entre femmes et hommes ? L’expression « discrimination positive » pose cependant problème. Aux Etats-Unis, inventeurs de ces pratiques, on parle de « positive action » ou d’« affirmative action », pas de « discrimination ». Derrière la querelle des mots surgit une question de fond. La dernière mode, à droite comme à gauche, c’est la danse du ventre pour séduire les musulmans. L’une et l’autre leur ont promis des postes éligibles sur leurs listes électorales - promesses qu’elles n’ont pas ou peu tenues - tout en déversant de l’argent sur quelques associations soigneusement sélectionnées. Mais, pour quelques carrières offertes à des jeunes aux dents longues, combien de dizaines et de dizaines de milliers d’autres resteront sur des voies de garage ?

Le clientélisme et l’électoralisme ne mèneront pas loin. Comme l’a dit Samuel Thomas, vice-président de SOS Racisme, « en donnant quelques places à des personnes issues de l’immigration, la société s’exonère de la situation dans laquelle elle laisse tous les autres et se sert de ces quelques uns pour démontrer que le système est bon. (...) Le rattrapage à faire n’est pas de l’ordre du symbolique (23) »

Qui veut-on promouvoir ? Une petite « beurgeoisie » ou la grande masse des enfants de l’immigration ? Une élite « blanchie » - la « crème des beurs », pour reprendre le scandaleux titre d’un livre récent (24) - ou des citoyens à part entière avec leur culture, leurs traditions et, pour ceux qui croient, leur religion ? C’est dire qu’il convient d’opposer un modèle démocratique au modèle élitiste déguisé en « discrimination positive ».

Membre du secrétariat du Parti socialiste, Malek Boutih, dans un rapport secret, heureusement enterré rue de Solférino, prônait non seulement l’instauration de quotas à l’entrée du territoire français, mais aussi la création dans les pays d’origine de stages obligatoires préalables à immigration, la suppression de la double nationalité et du regroupement familial ainsi que la mise en place de cartes de séjour à géométrie variable. Au point que le quotidien lepéniste France d’abord salua le « bon sens » de l’ancien président de SOS-Racisme (25).

On a presque l’impression que ces propositions ont inspiré Nicolas Sarkozy lorsque, moins de deux ans plus tard, il a présenté sa seconde loi sur l’immigration, destinée à privilégier l’« immigration choisie » contre l’« immigration subie ». Il s’agit en effet de recruter désormais la main d’œuvre étrangère en fonction des seuls besoins de l’économie française, notamment parmi les scientifiques, les cadres et les créateurs entreprise - et d’accueillir plus largement les étudiants étrangers. Mais la nouvelle législation rend aussi et surtout plus difficiles le regroupement familial, les régularisations, les mariages mixtes et a fortiori les naturalisations. L’« intégration républicaine » devient même une condition de l’attribution de la carte de séjour, temporaire comme permanente.

Stigmatisation et discrimination

Au-delà, l’islamophobie s’inscrit dans une sorte de campagne de diffamation visant globalement les jeunes de banlieues, en premier lieu d’origine maghrébine ou africaine.

Principal dossier à charge, les violences antisémites leur sont toutes attribuées, ou presque. Or c’est faux : le rapport 2005 de la CNCDH indique seuls 34 % des actes antisémites sont imputables à des « Arabo-Musulmans ». Quant aux « menaces antisémites », seul un quart d’entre elles est le fait d’« individus originaires des quartiers sensibles ». Même Jean-Christophe Ruffin, auteur d’une étude contestée sur le racisme, estime, dans sa contribution, à « 30 % » les acteurs « issus de l’immigration, mais pas forcément maghrébine, avec la présence de Noirs et d’Antillais ».

Sur l’identité des jeunes Maghrébins effectivement responsables de violences antijuives, le ministère de l’Intérieur apporte également des informations précieuses. La seconde Intifada, estiment les Renseignements généraux (RG), « a conduit nombre de jeunes à afficher une identification avec les combattants palestiniens, censés symboliser les exclusions dont eux-mêmes s’estiment victimes dans la société occidentale ». Mais ils circonscrivent le cercle des coupables, observant qu’ils s’agit « très fréquemment d’acteurs originaires des quartiers dits "sensibles", souvent délinquants de droit commun par ailleurs, qui essaient d’exploiter le conflit du Proche-Orient ». Et d’ajouter que ces groupes paraissent « peu sensibles » aux discours idéologiques.

Ce constat n’exclut évidemment pas l’incitation que représente, pour eux aussi, l’antisémitisme de certaines mouvances islamistes. Un leadar musulman comme Tariq Ramadan a d’ailleurs dénoncé celles-ci dès la fin 2001 : « Il faut être honnête et aller jusqu’au bout de l’analyse du phénomène, écrivait-il dans Le Monde (26) : comme cela se voit à travers le monde musulman, il existe aujourd’hui en France un discours antisémite qui cherche à tirer sa légitimité de certains textes de la tradition musulmane et qui se sent conforté par la situation en Palestine. Ce discours n’est pas uniquement le fait de jeunes désœuvrés ; il est aussi véhiculé par des intellectuels ou des imams qui, à chaque écueil, au détour de chaque revers politique, voient la main manipulatrice du "lobby juif". » Et d’ajouter : « La situation est trop grave pour se satisfaire de propos de circonstance. Les musulmans, au nom de leur conscience et de leur foi, se doivent de prendre une position claire en refusant qu’une atmosphère délétère s’installe en France. Rien dans l’islam ne peut légitimer la xénophobie et le rejet d’un être humain par le seul fait de sa religion ou de son appartenance. Ce qu’il faut dire avec force et détermination, c’est que l’antisémitisme est inacceptable et indéfendable. Le message de l’islam impose le respect de la religion et de la spiritualité juives considérées comme la noble expression des “gens du Livre”. »

Second thème récurrent dans les attaques contre les jeunes de banlieues : les « tournantes », souvent présentées comme des vengeances contre des jeunes filles arabes jugées insuffisamment musulmanes. Là encore, l’accusation ne tient pas. Dans son livre Le Scandale des tournantes (27), le sociologue Laurent Mucchieli démontre que le nombre de viols collectifs n’a pas augmenté depuis vingt à trente ans, et que la plupart des victimes ne sont pas musulmanes : ce sont des jeunes « Françaises de souche » paumées... Troisième thème : la multiplication, en banlieue, des réseaux liés Al-Qaida. Or le nombre jeunes détenus pour des faits de terrorisme - jugés ou en attente de l’être - ne dépasse pas la trentaine, sur des millions de jeunes d’origine maghrébine ou africaine...

La preuve par les banlieues

L’obsession de l’islam culminera lors de la révolte des banlieues, du 27 octobre à la mi-novembre 2005. Selon certains hommes politiques, relayés par de nombreux médias, elle aurait résulté d’un complot fomenté par les islamistes. D’autres mirent en cause la délinquance organisée. Sans oublier ceux qui n’ont pas craint le ridicule en incriminant... la polygamie !

Autant d’élucubrations qui ne résistent pas à l’analyse. Le mouvement des quartiers pose assurément un grand nombre de questions encore sans réponse. Sauf une : nul ne pourra plus nier que le cocktail explosif des banlieues réside dans la superposition d’une crise sociale, d’une crise post-coloniale - ou, si l’on préfère, raciale - et d’une crise de représentation. Les jeunes qui ont brûlé des véhicules comme des écoles ou des gymnases - et leurs camarades, majoritaires, qui n’ont rien incendié - subissent de plein fouet l’échec scolaire et le chômage dont souffrent tant de jeunes zones urbaines sensibles (que l’Observatoire des ZUS évalue au double de la moyenne nationale), mais aussi les discriminations visant spécifiquement les fils et filles d’immigrés maghrébins et africains.

Et, s’ils y réagissent par la violence - dont les habitants de leurs propres quartiers font les frais -, c’est faute d’un espace politico-associatif leur permettant de s’exprimer autrement. Car la gauche traditionnelle a déserté les banlieues (même si le Parti communiste y conserve des bastions, toutefois plus institutionnels que militants). L’altermondialisme n’y a pas pris racine. Et les associations autonomes, étouffées financièrement par le gouvernement Raffarin, restent peu structurées, divisées et le plus souvent coupées de la jeune génération, qui leur reproche vivement leurs échecs. Avant l’apparition du mouvement ouvrier organisé aussi, les « jacqueries » étaient fréquentes...

Paradoxalement, nous devons la meilleure analyse de la révolte à... la direction centrale des RG. A en juger par les fuites publiées (28), le rapport de celle-ci contredit ouvertement plusieurs affirmations du ministre de l’Intérieur. Les RG estiment qu’« aucune manipulation n’a été décelée permettant d’accréditer la thèse d’un soulèvement généralisé et organisé » - et notamment que les groupes islamistes n’ont joué « aucun rôle dans le déclenchement des violences et dans leur expansion ». Il s’est agi, selon le rapport, d’« une forme d’insurrection non organisée avec l’émergence dans le temps et l’espace d’une révolte populaire des cités, sans leader et sans proposition de programme ».

Les RG affirment : « Les jeunes des cités étaient habités d’un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d’exclus de la société française ». Le rapport écrit toutefois aussi : « Les jeunes des quartiers sensibles se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms. Ceux qui ont saccagé les cités avaient en commun l’absence de perspectives et d’investissement par le travail dans la société française. » C’est pourquoi les RG s’inquiètent du risque de constitutions de « ghettos urbains à caractère ethnique ». Et de conclure : « Il est à craindre désormais que tout nouvel incident fortuit (décès d’un jeune) provoque une nouvelle flambée de violences généralisées. »

Comment combattre l’islamophobie ?

A cette question, une réponse s’impose : comme tous les racismes. Et l’analyse de la réalité de l’islamophobie, comme de tous les racismes, est décisive pour mener à bien ce combat. Si le diagnostic n’est pas bon, il y a de fortes chances que l’ordonnance soit mauvaise.

La meilleure ordonnance, c’est celle qui attribue à chacun ses responsabilités : l’Etat a les siennes, mais mouvement social aussi. A la police incombe la recherche des coupables de toutes les violences racistes, et à la justice leur condamnation. Le gouvernement, pour sa part, doit protéger les personnes et les groupes menacés, mais aussi créer les conditions permettant de résorber le fossé creusé au sein de la société française.

Mais le mouvement social ne saurait se décharger simplement de toute responsabilité et s’en remettre à l’Etat. Il lui faut notamment mobiliser les forces démocratiques aux côtés de toutes les victimes contre tous les racismes : anti-Juifs, anti-Arabes, anti-Noirs, islamophobes, sans oublier le racisme anti-Tziganes, le pire de tous parce que le plus commun et le plus rarement nommé. Mais il doit aussi faire pression sur les autorités pour modifier en profondeur le terreau même des racismes : les conditions de vie et de travail des millions de Français défavorisés, notamment ceux issus de l’immigration.

Dans cette bataille, l’impératif essentiel, c’est l’alliance entre les jeunes des cités et l’ensemble des forces de renouveau, en premier lieu altermondialistes. Ce front commun sera décisif pour dépasser les prétendues divisions entre « Français de souche » et « immigrés ». La construction d’un telle alliance s’annonce difficile en raison de sa nouveauté, des préjugés existant de part et d’autre ainsi que des pressions de la classe politique et médiatique. Quoiqu’il en soit, ni les uns ni les autres n’ont le choix : les jeunes des banlieues ne changeront pas leur vie sans appuis ni alliés ; et le mouvement altermondialiste et progressiste comme, plus généralement, la gauche ne progresseront pas durablement sans aller à la rencontre des jeunes des cités et sans bénéficier de leurs énergies.

De ce point de vue, l’expérience du Forum social européen de l’automne 2003 mérite réflexion. La cabale montée, à l’époque, contre Tariq Ramadan dépassait évidemment la personnalité du philosophe genevois : elle visait surtout les liens qui, pour la première fois, commençaient à se tisser entre les associations de jeunes issus de l’immigration et le mouvement altermondialiste. Sur quels critères constituer l’alliance nécessaire ? Celle-ci suppose d’abord une volonté d’ouverture sur la société, et non de repli sur une « communauté ». Elle implique ensuite une véritable bataille contre les discriminations, contre la ghettoïsation, pour l’égalité des chances et des droits. Cette action ne peut devenir objet de marchandages et a fortiori de compromissions, comme l’actuel ministre de l’Intérieur rêve de le faire afin de constituer une petite élite à laquelle il offrirait quelques miettes du gâteau en échange de l’ordre qu’elles garantiraient parmi les « leurs ». Troisième critère : les alliances passées et les actions menées doivent se construire dans le respect de la légalité républicaine, la démocratie autorisant évidemment tout un chacun à critiquer les lois. Quatrième critère : les alliances se fondent non seulement sur le respect réciproque des partenaires, mais aussi sur la pleine égalité en droits et en devoirs dans la définition et la mise en œuvre des objectifs.

Une fois ce cadre défini, se pose effectivement la question de l’islam et du rapport à l’islam. On peut bien sûr comprendre qu’un certain nombre de militants laïcs, qui se veulent héritiers des traditions et pratiques républicaines, puissent formuler des inquiétudes et des critiques quant à tel aspect, telle tendance ou telle évolution de tel courant islamique. Il y a là matière à débat légitime. Mais il serait dommageable que ces préventions les empêchent de mesurer les aspects positifs des valeurs propres à l’islam, telles que ces jeunes les définissent, les vivent, les revendiquent - qui peuvent constituer des motivations profondes les conduisant à des batailles communes pour le droit et pour la justice, en alliance avec les altermondialistes et même en leur sein. Sauf à entrer dans des logiques islamophobes, il y a quelque chose d’intellectuellement absurde à refuser la discussion avec les militants musulmans, en mettant en avant les idées, parfois différentes des nôtres, que telle ou telle personnalité peut exprimer sur certaines questions de mœurs, mais qui se bat aussi, sur le terrain économique et social, pour que la République traite enfin également tous ses enfants. Ce qui doit primer, en matière d’alliance, n’est-ce pas le combat commun autour des objectifs communs ? En outre, participer à la diabolisation de ces personnalités, ce serait signifier aux dizaines de milliers de jeunes qui se reconnaissent en elles que nous ne voulons pas d’eux. De la même façon, il serait dangereux de ne pas voir que nombre de jeunes issus de l’immigration se revendiquent aussi de la laïcité. L’affaire du voile, c’est vraiment l’arbre qui a caché la forêt...

Au printemps 2002, une centaine d’intellectuels et d’artistes arabes ont rédigé une pétition contre les violences antisémites. Sa conclusion a gardé toute son actualité et toute sa force. Car sa démarche vaut de tous les racismes : « Nos partenaires et nos partisans les plus précieux sont les Israéliens et les juifs qui œuvrent aux côtés des Palestiniens contre l’occupation, la répression, la colonisation, et pour la coexistence de deux Etats souverains palestinien et israélien. Un bon nombre d’entre eux ont une histoire familiale tragique, marquée par l’Holocauste. A nous de leur rendre hommage et de les rejoindre sur cette ligne de crête qui consiste à savoir quitter la tribu quand il s’agit de défendre des droits et des libertés universels ».

Et les signataires concluaient : « Ne tombons pas dans le piège de Sharon, ne nous trompons pas de combat, l’insulte contre un juif ou un Arabe, c’est la même (29). » Ajoutons-y l’insulte contre un musulman...

Notes :

(1) Le 13 mars 2006, au terme d’une rencontre historique, à la mosquée de Rome, avec le président de la Ligue musulmane, Mario Scialoja, le Grand rabbin de la capitale italienne, Riccardo Di Segni, a affirmé : « La lutte contre l’islamophobie et l’antisémitisme doit être réciproque. Avec le même esprit de respect, nous devons empêcher que la violence et la haine ne l’emportent et viennent alimenter la religion. » Cf. Il Corriere della Sera, Milan, 14 mars 2006.

(2) Sud-Ouest, Bordeaux, 18 octobre 2003.

(3) Lire Alain Gresh, « A propos de l’islamophobie » : http://lmsi.net/article.php3 ?id_article=224. Le présent article reprend plusieurs des arguments développés dans ce texte.

(4) Cf. www.laicite-republique.org/documents/loi1905/texteloi1905.htm

(5) CNCDH, La lutte contre le racisme et la xénophobie : rapport d’activité 2004. La Documentation française, Paris, 2005. Ce rapport (et les autres) sont disponibles sur : www.commission-droits-homme.fr/

(6) La catégorie « menace raciste » inclut aussi bien un courriel d’insulte qu’une lettre anonyme ou un graffiti sur la voie publique.

(7) Voir respectivement Nonna Mayer, « La France n’est pas antisémite », Le Monde, 4 avril 2002, et l’enquête sur « L’islam en France » réalisée par Artenice Consulting, avril 2004.

(8) CNCDH, La lutte contre le racisme et la xénophobie : rapport d’activité 2005, La Documentation française, Paris, 2006.

(9) Le Monde, 8 octobre 2005.

(10) Maspero, Paris, 1980.

(11) Seuil, Paris, 2005.

(12) Dans l’acception d’Edward Said, l’orientalisme est un courant idéologique reconstruisant l’Orient afin de justifier les entreprises coloniales, puis néocoloniales de l’Occident. Une véritable volonté de connaître les autres cultures, notamment celles de l’Orient et en particulier l’islam, exclut toute ambition dominatrice.

(13) Lequel, pendant la Seconde Guerre mondiale, faisait arrêter et déporter les juifs de Bordeaux. On se demande d’ailleurs combien de « rafleurs » de 1961 jouaient déjà ce rôle en 1942...

(14) LCI, 24 octobre 2003.

(15) Cf. Alain Gresh, op. cit.

(16) Pockett, Paris, 2003.

(17) Op. cit.

(18) Plon, Paris, 2002.

(19) 24 mai 2002.

(20) Cf. le texte intégral : www.ldh-toulon.net/article.php3 ?id_article=1027

(21) Lire, Paris, septembre 2001.

(22) Jusqu’au scrutin de septembre 2004, qui a vu l’élection de deux sénatrices de culture musulmane.

(23) L’Humanité, Paris, 14 janvier 2004.

(24) Philippe Bernard, De l’immigration à l’intégration, Seuil, Paris, 2004.

(25) 13 mai 2005.

(26) Le 24 décembre 2001.

(27) La Découverte, Paris, 2005.

(28) Le Monde, 8 décembre 2005.

(29) Le Monde, 10 avril 2002.

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